En 1968, travaillant à Cointrin comme assistant du chef d'escale de la
Middle East Airlines, je supervisais les avions qui faisaient la ligne
Beyrouth-Londres avec escale à Genève. J'étais l'assistant du chef d’escale
(Roger Kralian) et j’officiais en uniforme, rouflaquettes, veste ceintrée,
pantalon pattes-def, ce qui me valait un franc succès auprès des hôtesses de
l'air, voire de certains stewarts particulièrement mélomanes. L'enthousiasme
était plus modéré chez les commandants de bord MEA ou parmi la hiérarchie
Swissair de l'aéroport! Mais bon, il m'était difficile de concilier l’austérité
de l'uniforme aéroportuaire avec le glamour des présentations de ‘Rythm &
Pop’, ma première émission radio de rock diffusée tous les vendredi soirs à la radio romande...
Un jour,
un collègue de Swissair me demande si je suis d'accord d'embarquer sur notre
vol quatre passagers à destination de
Londres, les vols Swissair étant complets. Il me met sous le nez quatre
billets pour Londres. Les deux premiers sont ceux de passagers dénommés:
Redding. Je jette un œil distrait sur les autres noms: Mitchell, Hendrix… je ne
percute pas, et je réponds à mon ami que malheureusement je ne peux rien faire,
notre compagnie ne possédant aucun de droit de trafic entre Genève et Londres,
en clair nous n'avions pas le droit de prendre de passager entre Genève et
Londres, mais uniquement entre Genève et Beyrouth.
Je retourne donc vaquer à mes occupations, surveille le chargement de
notre vol et au moment d'embarquer les passagers, en passant par le hall
d’embarquement, je remarque dans le hall Jimi Hendrix manifestement en train
d'attendre une correspondance. Tout émoustillé par la rencontre, je file
retrouver mon copain de chez Swissair et, l'air triomphal, je lui annonce avoir
croisé Hendrix, et tu devineras jamais où…! Il me répond aussi sec que:
ouais, en salle d'embarquement et il va même y rester un bon bout de temps vu que tu ne lui permets pas de rentrer à Londres sur ton vol...
Ah bon?
Naaaaaan….? Passe moi les billets… Je retourne vers Hendrix et lui dit d’un air
avantageux : il paraît que vous ne pouvez-pas partir sur le vol de MEA
pour Londres ? Laissez-moi vous arranger ça… ! Et c'est sur le vol Middle East
Airlines Geneve-Londres que le groupe de Jimi Hendrix a pu rejoindre Londres ce jour-là...
Du coup, Jimi Hendrix m’a bien proposé de me mettre sur sa guest-list
pour le concert de Zürich, mais comme je n’étais pas certain qu’il ne
s’agissait pas d’une promesse un peu hâtive, et de peur de me retrouver sans
billet pour le concert, (homme de peu de Foi…), j’ai quand même acheté mon
billet et je ne suis jamais allé vérifié s'ilavait tenu sa promesse...
Au moment d’embarquer, Jimi qui collectionnait les foulards ‘hippies’,
m’a entraîné jusqu’au petit stand de souvenirs sur lequel, entre les couteaux
suisses (à cette époque c'était encore autorisé ...), les cartes postales et
les boites qui faisaient 'meeeeuh' quand on les retournait, trônaient toute une
série de foulards multicolores, il m’a alors demandé de lui en choisir
quelques-uns. A ma grande surprise, il m’en a offert un et gardé les
autres ! Inutile de dire qu‘à l’époque je n’ai pas réalisé que j’avais
dans les mains ce qui pourrait s’assimiler aujourd’hui à une relique de la
Sainte Croix … Mais bon en 68 Hendrix n’était pas encore aussi connu en Suisse
que le dernier chanteur de la starAc aujourd’hui, c’est ma seule excuse !
Je ne me pardonnerai jamais de ne pas avoir conservé ce que l’on pourrait
aujourd’hui considérer comme l'équivalent du 'Saint-Suaire'!
Quatre
jours
après, il jouait au Hallenstadion à Zurich avec Eric Burdon et
Traffic, nous sommes sortis du concert entre deux haies d'accortes policiers
zürichois qui inauguraient leurs premiers camions-canons à eau… Le concert des
Stones quelques temps auparavant ayant laissé quelques traces dans l’esprit des
autorités...
Patrick en février 2013
Photo: Patrick 1968, en train de parler avec le pianiste de jazz Erroll
Garner devant le comptoir TWA à Genève Cointrin.
Photo insertion: Patrick 1970